L'ATTENTE
notes de l'année 2020
paru le 20 octobre 2023
Jacques Robinet poursuit dans L’Attente son exploration d’une forme originale, où l’intimité de l’écriture d’un journal s’unit à un travail stylistique qui
fait de ces pages, plus encore qu’une autobiographie, un récit libéré des contraintes d’une intrigue romanesque.
Le titre donne le ton : L’Attente est la chronique d’une année 2020 où l’épidémie a enfermé la France pendant des semaines, voire des mois, dans un étrange repli hanté d’angoisse et
d’incertitude. L’écrivain vit pleinement le trouble de cette période, où il abandonne son appartement parisien pour s’installer sans doute définitivement dans sa maison provinciale. Changement de
vie, mais qui ne change rien aux constantes de la vie : la vieillesse et la maladie, l’approche de la mort, mais aussi la quête du bonheur, réalisée aussi bien dans la tendresse d’un quotidien
partagé avec son compagnon que dans la plénitude d’une foi nourrie de doute, et pourtant ouverte à l’émerveillement sans cesse nouveau de la beauté du monde.
Variation sur le thème de l’attente, une réalité propre à tout destin humain, ce livre est aussi comme un compagnon de route, une voix attentive où l’on retrouve l’écho de la pratique de
psychanalyste qui fut le quotidien de l’auteur pendant des années. Dans la lignée de Philippe Jaccottet ou de Marie Noël, les notes de Jacques Robinet nous confient l’essence de toute une vie
condensée en une unique année.
Jacques Robinet est né en 1937 à Neuilly sur Seine, de père français et de mère espagnole. Il a fait ses études secondaires à Madrid avant de venir étudier en France. Prêtre catholique de 1964 à
1972, il abandonne le sacerdoce pour devenir psychanalyste après sa rencontre avec Françoise Dolto. Il a été proche de Julien Green, de François Mauriac et de Jacques Maritain, qui ont encouragé sa
vocation littéraire. Jacques Robinet a poursuivi son activité de psychanalyste jusqu’en 2020. Auteur de plusieurs recueils de poèmes, il a déjà publié trois livres aux éditions de la Coopérative :
Un si grand silence (récit), La Monnaie des jours et Notes de l’heure offerte..
EXTRAITS DU DOSSIER DE PRESSE
C'est un secret bien gardé, un secret qui brûle les lèvres, tant on voudrait le crier sur les toits : l'oeuvre de Jacques Robinet se tient parmi les plus hautes réussites littéraires du moment. (...)
Lire L'Attente, c'est voyager en compagnie d'un Ulysse vers un Ithaque oublié dont il reste à espérer qu'il existe vraiment. Le temps passe, le temps presse : "Plus la fin de vie approche, plus s'affirme mon regard. C'est parfois bouleversant d'intensité." Le lecteur confirme.
ERIC NAULLEAU, LE JOURNAL DU DIMANCHE, 3 décembre 2023.
C’est au fond un livre de sagesse, un livre d’heures, un livre des jours que celui de Jacques Robinet qui s’exprime avant tout en être humain, fragile, envahi par la pensée de la mort et celle de l’âge, mais qui a comme déposé armes et bagages et aussi bien sûr ses rôles, dont il retient l’essentiel pour écouter son propre être mais inviter à écouter le nôtre. Ne fut-il pas prêtre, puis psychanalyste, homosexuel, ayant traversé le drame du Sida, aujourd’hui presque ermite dans sa maison d’Ile-de-France, loin du bruit et de la fureur, mais attentif, encore, à lui-même, au monde, à ses amis. Une telle parole (...) est très importante en ces heures si difficiles et déchirantes. (...)
Jacques Robinet voit son livre comme un « vitrail, traversé par la lumière, des mille éclats de [sa] vie éparpillée. » Pas de narcissisme ici, mais plutôt un
profond partage de l’expérience de toute une vie, qui fait de ce livre un de ceux que l’on peut garder à portée de main, sûr d’y trouver toujours une réponse dans les moments forts de la vie, heureux
ou douloureux.
Sans doute ce qu’on appelle un livre de chevet ! Mais là curieusement, plutôt qu’à une vieille table de nuit branlante, je pense au chevet d’une église, avec cette caractéristique que
l’on est tout près de l’église, mais dehors, pas dans l’église. On peut y rentrer, ce que fait Jacques Robinet, de temps à autre, mais pétri de doute, dans un « courant alternatif » (Didier
Cahen) foi-doute qui est profondément parlant parce qu’il semble tellement honnête et juste, loin de l’assurance délétère des culs-bénits !"
FLORENCE TROCMÉ, Le Flotoir (13-23 novembre 2023)
La beauté de ce livre tient (...) à son oscillation constante. L’inquiétude et la joie, la foi et le doute, la tristesse d’un monde dont on pressent l’interminable fin, l’espoir qui renaît aussi vite qu’il fut perdu, le malheur et l‘émerveillement. (...)
L’écriture est fluide et pleine, gorgée de lumière, impressionniste pourrait-on dire. « J’essaie d’habiter le silence ». On pense parfois à
Charles Juliet ou à Philippe Jaccottet, dont il partage l’intranquillité fondamentale, la réflexion sur l’âge, l’amour de la lumière.
Peut-être la grande différence, ici, c’est Dieu.
Jamais certain, ce Dieu, toujours attendu.
C’est peut-être la clef de ce beau livre au soir d’une journée d’automne, qui rassemble toute une vie, à la façon d’un funambule, en équilibre précaire mais tenace.
Une obstination douce, un homme complexe, et l’amour du silence.
ISABELLE BALADINE HOWALD, Poesibao.fr, 2 novembre 2023.
L’attente est un grand livre qui transcende les étiquettes et catégorisations de genres habituelles – elles dispensent souvent de l’effort d’avoir à extraire la substantifique et parfois dérangeante altérité de ce que nous lisons. Parce qu’il s’y joue des choses de grande valeur tramées sur une forme d’intranquillité, de déréliction, d’incertitude existentielle, L’Attente est de ces livres que j’appelle “impardonnables”. Je veux dire au sens où Cristina Campo employait ce mot : sont "impardonnables" les écrivains qui ont souffert pour franchir des limites – limites en deçà desquels nous, lecteurs, nous nous cantonnons par indifférence, confort, paresse ou incapacité à affronter l’Inexprimable. Inacceptables sont ceux qui, forts de la révélation en eux de la parole cachée, de la rencontre avec la grande solitude intérieure, nous pressent de les suivre sur le chemin d’une ascèse créatrice, d’une metanoïa.
PATRICK CORNEAU, Le Lorgnon mélancolique, 21 octobre 2023
À lire Jacques Robinet, on a l'impression de quelqu'un qui marche dans un tunnel (le tunnel du «je » ?), mais à claires-voies avec des accès sur des paysages, des personnes dont le compagnon fidèle, des arbres, du vent, une musique écoutée, la lumière changeante selon les jours, des livres… Quant à la mémoire, elle n'est pas passive, elle relève d'un éveil : « J'aime que le retour sur le passé ne soit pas un enfermement, mais un recommencement – la joie de faire rebondir l'inachevé, laissé en jachère.[…] Il s'agit bien dans cet acte de mémoire, non pas d'un consentement à une impasse, mais de “commencer encore”, en retrouvant ce fil perdu du désir. Tout acte d'écriture est nouvelle création à partir de traces interrompues. » La mémoire renvoie à un autre « je » que celui du présent. Car « je » n'est pas d'ordre statique, il est de l'ordre d'une dynamique dans la mesure où l’on peut lui ajouter une infinité de verbes à la première personne du singulier. En ce sens, ce « je » ne saurait être associé, malgré la crainte exprimée par l'auteur, à un quelconque narcissisme. C'est à cette dynamique du «je » que nous assistons dans les ouvrages de Jacques Robinet : « Je cherche encore ma voie à tâtons, plus attaché à mon rêve qu'au réel. Seul est juste le chemin qui me rend la joie de vivre. »
Extrait de la chronique de JACQUES LÈBRE : « Pesanteur et légèreté : Jacques Robinet », in revue Europe, n°1139, mars 2024, pp. 314-319.
Ce n'est ni un journal ni un carnet de notes et de réflexions ; son inscription dans une triple temporalité : le calendrier sanitaire, le calendrier liturgique et le renoncement tardif à l'exercice de la psychanalyse, lui confère la dynamique narrative d’un récit romanesque. L'alternance des confinements et des déconfinements ainsi que la douloureuse nécessité de mettre fin à son activité de psychanalyste conduisent Jaques Robinet, à quatre-vingt-trois ans, à quitter un Paris long temps adoré pour se retirer définitivement avec son compagnon dans le havre de leur maison du Gâtinais. C'est sur ces bouleversements tardifs de sa vie qu'il s'interroge et observe l'évolution de ses réflexions au cours de cette année doublement difficile. Quant à l'année liturgique, le prêtre qui a renoncé au sacerdoce en devenant psychanalyste et qui ne pardonne pas à l'Église catholique d'avoir construit un corpus dogmatique culpabilisant et répressif a l'opposé de la bienveillance universelle du message christique, il en commente les étapes telles qu'il les lit dans les textes et telles qu'il les vit.
Mais ce livre somptueux dans sa langue et indispensable dans ses intentions est d'abord un admirable hommage à la nature, à la beauté et à la vie, adieu d'un vieil homme au sommet de ses facultés intellectuelles et de la maîtrise de son expression poétique. À la fois bilan et testament d'une intelligence ouverte à l'invisible et à l'ineffable, ayant atteint un niveau supérieur de sensibilité dans sa perception du monde, c'est aussi un bréviaire offert par l'auteur« confronté à l'évidence d'une fin prochaine» à l'aimé, au compagnon fidèle qu'il va laisser derrière lui. Sous forme de fragments, l'auteur de ce long poème en prose note dans le rythme des jours, sans autre programme que de suivre ses pensees nourries par son rigoureux esprit d'analyse, tout ce qui sollicite son insatiable attention. (…)
BERNARD PIGNERO, Diérèse, n°89 (hiver-printemps 2024)