PARUTION LE 20 SEPTEMBRE 2019
Dès la parution de son Œuvre poétique en 2000, Béatrice Douvre (22 avril 1967 – 19 juillet 1994), qui n’aura publié de son vivant que quelques dizaines de textes dans des revues, a été reconnue comme l’une des personnalités marquantes de sa génération. Ses poèmes sont hantés par le mal dont elle souffrait, l’anorexie, contre lequel elle ne cessa de lutter jusqu’à sa mort, à vingt-sept ans.
Durant les six derniers mois de sa vie, Béatrice Douvre concentra l’expérience de sa vie et de son écriture – les deux étant indissociables
chez elle – dans un cahier que nous publions aujourd’hui. « Le manuscrit m’obsède, j’y ai mis mon amour, ma vérité, mon vertige », note-t-elle dans ce Journal de Belfort qui est
d’abord l’évocation d’une liaison douloureuse, mais devient vite un champ d’exploration de toutes les formes s’offrant à l’écrivain, qui savait sa vie menacée. L’écriture quotidienne ne cesse de
s’enrichir, jusqu’aux pages de la section intitulée Passante du péril, où l’expérience de l’anorexie et de l’hôpital psychiatrique se trouve décrite avec un réalisme
saisissant.
Les quatre sections de ce livre, qui s’achève par les tout derniers poèmes qu’ait écrits l’auteur, renouvellent la forme du journal intime
et créent un univers lyrique d’une intensité inoubliable. Il y avait chez Béatrice Douvre une pureté que rien ne pouvait atteindre, et qui triomphe ici des expériences qui l’ont parfois conduite au
paroxysme de la souffrance. Un livre aussi beau que troublant.
CHOIX D'ARTICLES CRITIQUES (les références soulignées en fin de citation proposent un lien vers l'article complet quand il est en ligne) :
Il y a dans ce journal un puissant compagnonnage du corps et de l’esprit. Un tutoiement intime de l’au-delà qui n’est pas éloigné, mais bien présent, convoqué dans le texte. Dieu et sa puissance, le Christ et sa souffrance qui est chemin de rédemption. Le relèvement et la chute. La lumière et les ténèbres. L’éclat, la fange et la boue. Le corps et ses exigences tracent des chemins où se vivent ses contradictions, son amour impossible qui, mêlant réalités et délires, créent une fantasmagorie flamboyante où la vie rêve d’un chemin de pureté.
(ALAIN BOUDET, La Toile de l'Un, 25 septembre 2019)
L’écrivain qui savait sa vie menacée, se jette corps et âme dans un texte-confession qui devient vite un champ d’exploration de toutes les formes d’expression tremblées et tremblantes d’un désir insatiable. Inassouvissable parce que brûlant de deux feux, d’une part un côté évanescent, transparent, éthéré, affamé de transcendance, et d’autre part, une grande force sensuelle, un appétit de suavité sur lequel elle sait ne pas pouvoir se reposer.
(PATRICK CORNEAU, Le Lorgnon mélancolique, 29 septembre 2019)
Béatrice Douvre, d'une façon bien moins métaphorique qu'on ne pourrait le supposer, s'est offerte, autrement dit a fait don d'elle-même, de son corps, de tous ses talents au sens biblique du terme et d'abord de celui qui la courbe, humblement, sur la pâte chaude du langage qu'il s'agira de pétrir et de faire gonfler, pour espérer pouvoir voir ce qu'il en sortira, peut-être même toucher, «le pain de présence et le vin de vigueur, levés sur la table de bois, de porphyre» (p. 54).
(JUAN ASENSIO, Stalker, 20 septembre 2019)
C’est un pari réussi que cette édition de textes qui témoignent de cette souffrance, mais aussi d’une écriture gagnée sur l’existence, d’une poésie qui dit encore par-delà les ans le prix d’une quête loin de toute malédiction, au plus près de la chair et de l’esprit.
(PIERRE KOBEL, La Pierre et le Sel, 13 octobre 2019)
Beauté, pureté, honte, désespoir, amour, obsession du corps : nous sommes emportés dans le tourbillon infernal des émotions pures et intimes. Chaque vers, chaque phrase est unique et possède une beauté et une profondeur à couper le souffle. Le Journal de Belfort est un vrai bijou poétique couplé d’une perfection d’écriture.
(LIBRAIRIE MOLLAT, BORDEAUX, en association avec SUD-OUEST, 14 novembre 2019)
Je n’ai pas pu me détacher de cette quête, de ce besoin d’aimer, aimer et aimer encore, vision forte et entêtante d’une jeune femme heurtée par une douleur qui surmonte tout. Cette douleur est comprise en partie à l’image d’une souffrance mystique, et c’est là que ce livre atteint la métaphysique. Donc, une métaphysique de la souffrance et du désir, principalement sexuel, et tout cela écrit en une expression comparable aux épreuves d’un supplice artaudien.
(DIDIER AYRES, Le Capital des mots, 18 octobre 2019)
Le journal des six derniers mois de la vie de Béatrice Douvre est brûlant, sublimant l'anorexie dont elle souffrait. Elle dit sa "peur immaculée de vivre" et son désir fou d'amour impossible, fixés dans un vertige d'images et de mots.
(GÉRARD BOCHOLIER, La Vie, 21 novembre 2019)
Essayons d’écouter cette voix, aux rythmes souvent reconnaissables, au-delà des échos de lectures évoqués plus haut : comme si la tradition faisait signe, en dépit de tout (y compris le « vieil » alexandrin), et avait représenté une impossible planche de salut pour la malheureuse passante du péril (...). Il faut prendre le temps de lire le Journal de Belfort, au milieu du brouhaha des parutions et des échanges électroniques ambiants, en faisant abstraction – autant que faire se peut – du destin mortel de son autrice.
(JEAN-CHARLES VEGLIANTE, La République des livres, "Le Coin du critique", 28 novembre 2019)
Le plus troublant c’est que malgré une nature d’écorchée vive la douleur n’est justement pas l’état central chez Béatrice Douvre. Voir en elle la passion qui l’anime permet de l’approcher, en ne considérant plus cette écriture comme un lyrisme obsédé (ce qui n’enlève rien à certaines lourdeurs, redites, maladresses, qui justement n’ont pas trouvé la « forme » du poème pour se dire autrement) mais surtout comme une sincérité bouleversée. Le désir traverse cette écriture, la défait, l’entraîne ou l’absout.
(MARC BLANCHET, Poezibao, 6 décembre 2019)
Dans ce journal intime, Béatrice Douvre relate les six dernières mois de sa vie, livrant le récit implacable des traitements médicaux, l'intime des dernières relations, les moments de grâce et les déceptions abyssales. Teintée d'une spirutualité brute, sa prose se transforme finalement en poèmes. Un peu d'air dans le blanc des pages.
(STÉPHANE BATAILLON, La Croix l'Hebdo n°10, 6 décembre 2019)
Le corps de Béatrice est avant tout littéraire. Elle peut le déformer, l’ausculter et le travailler dans ses textes sans être contrainte par la pesanteur de sa chair. Le Journal de Belfort rend compte de la crise à la fois charnelle et métaphysique que traverse l’éternellement jeune poétesse. C’est un texte d’une clarté aveuglante et d’une densité effroyable où Béatrice Douvre cherche sans trêve une manière d’exister. Et elle se prend même à rêver, dans l’annexe du Journal, d’un corps délesté de toute souffrance, léger et sans entrave.
(PIERRE POLIGONE, Zone critique, 16 décembre 2019)
Que l'on n'attende pas ici le journal ordinaire d'une jeune fille. L'écriture, personnelle et brûlante, riche en asyndètes et métaphores, se détache des contingences strictes du réel par cette langue propre à Béatrice Douvre, poète des bords extrêmes : "Je veux le mot rugueux, le verbe brisé, la phrase étrange." La déclaration d'intention rimbaldienne est claire, et le défi affirmé : "Les vieilleries poétiques abolies, j'invente des musiques nouvelles pour désosser les grilles et marcher sur les terrasses de verdure." (...) De refus en errances, la "mal aimée, mal étreinte" habite les mots de poètes comme Apollinaire, Jouve, Char, Bonnefoy, Léo Ferré, Baudelaire ou Nerval. Jean Starobinsky soulignait à propos de Pierre Jean Jouve : "Les citations sont moins des emprunts que des signes d'intelligence et de gratitude envers ceux qui lui ont révélé un règne de poésie. Ils ont la fonction que Dante attribue à Virgile : au moment où Jouve découvre l'inflexion si originale de son langage propre, il peut y inclure quelques-unes des paroles mémorables qui l'ont escorté." Béatrice Douvre opère ainsi en s'appropriant des formules : les Feuillets d'Hypnos de René Char deviennent "feuillets hypnotiques", figurant la trace d'une intercession tentée vers le monde ou une transcendance.
ISABELLE LÉVESQUE, Quinzaines, n°1222, 1er janvier 2020.
Une locution a déjà circulé pour qualifier Douvre, expression qui titre la deuxième partie du livre : Passante du péril : journal d’une anorexique. Si cette périphrase cerne la difficulté première (et source première) de son écriture : l’anorexie, le danger de mort, un détour par l’étymon latin permet d’enrichir sa profondeur : « péril » vient de periculum qui signifie « épreuve », « expérience », le mot lui-même dérive du verbe périor « éprouver », « expérimenter ». Béatrice Douvre se serait donc caractérisée comme la passante de l’expérience, ou de l’épreuve. C’est par la souffrance, le rejet, l’échec, la diversification des écritures (les expériences littéraires et corporelles dont témoigne le livre) qu’elle effectuerait sa traversée du monde. Cette locution annonce une écriture expérimentale : Journal de Belfort n’est pas un journal factuel, mais un recueil de proses, les Proses refondent le journal, Journal d’une anorexique présente une simplification de l’écriture, enfin les Derniers Poèmes répondent par l’apaisement (forcé, désiré, performatif ?) de l’ensemble qui les précède. Ce manuscrit décrit donc l’itinéraire douloureux d’une poétesse lors des derniers mois de sa vie, une traversée des ronces (le terme revient souvent et peut être associé au péril), pour arriver à l’aube dernière. (...)
GERMAIN TRAMIER, Libr-critique, 17 septembre 2020.