ESCHATON
Ici finit le règne de l’homme
édition établie et présentée par Sylvia Massias
Les trois volumes des Lettres à Didier parues aux éditions du Cerf entre 2010 et 2015 ont permis d’imposer le nom de Vincent La Soudière (1939-1993) comme celui d’un témoin majeur de la crise spirituelle de la fin du vingtième siècle, qui reste plus que jamais d’actualité. Quelques publications antérieures avaient auparavant attiré l’attention sur le destin de cet homme inquiet qui, ayant écrit toute sa vie, n’aura publié qu’un seul ouvrage de son vivant.
Eschaton, le livre que nous éditons aujourd’hui, correspond au grand projet qui l’a occupé pendant les vingt dernières années de sa courte existence. Sylvia Massias en a transcrit et ordonné les fragments en se conformant minutieusement aux plans et projets laissés par l’auteur. On y suit un trajet spirituel qui, sous le signe d’une grande souffrance morale, vise à restaurer la confiance en la vie à la lumière de la foi chrétienne, en réaction contre le « nihilisme de notre siècle » qu’il combat en des pages d’une intensité prophétique. Dans la lignée de Pascal et de Nietzsche, il apparaît à la fois comme un penseur et un écrivain d’une force exceptionnelle.
Auteur d’un seul livre publié de son vivant (Chroniques antérieures, Fata Morgana, 1978), Vincent La Soudière (1939-1993) s’impose peu à peu depuis sa mort comme une voix essentielle de la littérature contemporaine. Proche d’Henri Michaux et de Cioran, avec qui il entretint une correspondance, il eut une vie tourmentée que Sylvia Massias a minutieusement retracée et analysée dans son essai biographique Vincent La Soudière, la passion de l’abîme (éd. du Cerf, 2015). À partir des années 2000, la parution de Brisants (Arfuyen, 2003) puis des trois volumes des Lettres à Didier (éd. du Cerf, 2010, 2012 et 2015) lui valent de rencontrer un écho grandissant.
EXTRAITS DE PRESSE
De Vincent La Soudière, mort en 1993, nous pouvons dire aujourd’hui, grâce au travail exceptionnel de Sylvia Massias, qu’il est notre contemporain capital. Ses mots, ses essais de parole, ses textes ne nous parviennent pas depuis les tribunes obscènes et absurdes de la "vie littéraire" gorgée de vanités odieuses, mais depuis une solitude absolue, une vigie terrible et impérieuse. Ce qui leur donne une force inouïe.
EMMANUEL GODO, La Croix, 22 décembre 2022.
Homme du pressentiment, Vincent La Soudière dessille notre regard pour que nous puissions être à l’écoute du monde. Il prend appui sur ses souffrances intérieures afin de montrer les coutures de la conditions humaines. Ce recueil posthume construit par Sylvia Massias permet de dessiner le visage d’un poète dont la langue épouse toutes les modulations de la voix, du chuchotement au cri, pour s’alarmer de l’état du monde.
PIERRE POLIGONE, Zone critique, 15 décembre 2022.
La clé de cette pensée ― torturée, baroque, cheminant entre excès et dépouillement, déréliction et délivrance ― réside finalement dans l’attente, intensément vibrante, d’une impossible transfiguration. A la limite du noir, l’appel à la lumière. Au bout du désespoir ultime, la soif vitale d’une métamorphose inouïe, impensable, ineffable, qui ferait « sauter la poudrière du monde ». A la toute fin d’un si long chemin de souffrance, la perte de l’individualité et l’accès à l’universel (« j’ai gagné d’être tout en n’étant plus rien »), avant une délivrance qui ne peut se décrire. Le 5 mai 1993, avant qu’il ne se laisse couler définitivement dans l’eau de la Seine, sa dernière lettre se termine par ces mots : « D’immenses paturages devant moi. Ma vie peut enfin commencer. » L’œuvre se charge de prolonger cette fièvre, dont on commence seulement à soupçonner l’étrangeté et la grandeur.
ROGER-POL DROIT, Le Monde des livres, 25 novembre 2022.
JUAN ASENSIO, Stalker, 7 novembre 2022 (La richesse de cette critique, sévère pour notre travail mais très argumentée, ne nous a pas paru permettre d'en détacher un fragment, mais nous y renvoyons avec ce lien).
Notre étonnement devant la prose de Vincent La Soudière (1939-1993) est fait d’une simplicité très ancienne. Nous sommes là à la source, non à la cime, dans le royaume de l’étonnement, non dans celui de l’explication, de la glose et du ratiocinement, encore moins du jugement. Altitude zéro. Moment ambigu du face à face inaugural avec la création : effroi et merveille, misère et miracle de la condition de l’homme – moment hautement pascalien s’il en est.(...) Si l’œuvre de cet écrivain secret est peu connue et est restée longtemps presque entièrement inédite, elle s’est imposée peu à peu depuis sa mort comme une voix essentielle de la littérature contemporaine. La difficulté intérieure qui le retenait de quitter le domaine de la virtualité pour oser franchir le pas de la publication l’a amené à se confronter aux limites de la littérature et accomplir un nécessaire dépassement – d’où la force prodigieuse de son style de poète-penseur.
PATRICK CORNEAU, Le Lorgnon mélancolique, 5 novembre 2022.
L'homme qui s'est suicidé, à 54 ans, en se jetant dans la Seine n'a pas eu le courage de vaincre sa propre dévastation, mais il a eu celui de comprendre la
Dévastation générale dans et par l'assomption de la sienne propre (comme la dernière partie d'Eschaton, qu'on laissera, s'il vous plaît, découvrir, le montre et l'écrit) : "La proximité
du désastre est ma boule de cristal, le miroir où j'apprends toutes choses - et moi-même, ma propre vie... Ma propre douleur, mes insatisfactions, ma faiblesse, ma honte disparaissent et se
volatilisent dans une Faiblesse plus haute - littéralement mondiale. Ma faiblesse particulière est aspirée, transférée par et dans un bouleversement infiniment plus vaste, qui alors l'abolit et en
même temps l'assume" (p. 236).
Comme sa dense et claire Présentation (pages 7 à 42) en convaincra le lecteur, l'œuvre de composition ici proposée par Sylvia Massias témoigne d'une humilité et d'une intégrité
rares. Il semble bien que la voix de Vincent La Soudière ait enfin trouvé, en ce patient et décisif travail, sa paix et son ordre. Et (mais à nous alors de jouer) son avenir;
MARC WETZEL, Poezibao, 29 octobre 2022.
Ce très beau livre a le grand intérêt de nous faire parvenir la voix sinuglière d'un "auteur posthume", écrivain poète d'exception partageant sans doute une "condition commune" (moderne) "qui est celle de la perte", mais témoignant, en elle et contre elle, d'une lutte et d'une espérance capables d'affronter et de surmonter les pulsions nihilistes de l'époque.
FRANCIS GUIBAL, Études, n°4302, mars 2023.